Casser les codes, réécrire le cinéma
Ils ne rentrent dans aucune case — et de toute façon, ils les ont explosées. Varda, Nikon, Brive : Intervistar vous livre un concentré de cinéma sauvage et réjouissant.
Il y a ceux qui suivent les règles… et ceux qui les explosent. Ceux qui tracent leur route hors des sentiers battus, pour faire du cinéma non pas un produit, mais un geste, un acte, une prise de risque. Intervistar rend hommage cette semaine à ces cinéastes qui, à chaque plan, bousculent la forme autant que le fond.
Agnès Varda, libre jusqu’au bout de la pellicule, a filmé la vie en éclats, mêlant documentaire, poésie et autoportrait avec une audace lumineuse. Et nos coups de coeur de la semaine en salles le 16 avril : Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont redonné au polar sicilien une étrange beauté, entre réalisme cru et onirisme brûlant, comme dans Lettres siciliennes. Et Charlène Favier, réalisatrice d’une évocation bouleversante de la vie d’Oksana Chatchko, une des créatrices des Femen. Sans oublier les jeunes pousses du Nikon Film Festival et les aventuriers du moyen-métrage, ce format libre et audacieux célébré à Brive.
Leur art ne cherche pas à plaire : il cherche à dire. À secouer. À réveiller. Et c’est précisément pour cela qu’on les aime. Prêts à plonger dans l’insolence créative de ceux qui n’entrent dans aucune case ? Bonne lecture.
📸 Agnès Varda, l'iconoclaste à l'honneur au Musée Carnavalet
Cinéaste libre, audacieuse, inclassable — Agnès Varda n’a jamais suivi les règles du jeu, elle les a réécrites. À la croisée du documentaire et de la fiction, du réel et de la poésie, elle a mené une carrière aussi singulière que radicalement moderne. Avec "Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là", le Musée Carnavalet offre un regard inédit sur une artiste libre, indocile et profondément attachée à sa ville. On y explore son œuvre photographique méconnue, on entre dans l’intimité de la cour-atelier de la rue Daguerre, véritable cocon de création, et on redécouvre Paris vu par Varda, entre documentaire, fiction et poésie urbaine.
Cléo, les passants, les murs, les chats : tout vibre sous l’œil tendre et décalé de cette pionnière du cinéma, qui a toujours filmé Paris comme on filme un visage. 130 tirages, archives rares, objets personnels, extraits de films et même une sculpture de sa légendaire Nini la chatte composent ce parcours sensible et vibrant.
Musée Carnavalet. Jusqu’au 24 août 2025. 23 rue de Sévigné. 75003 Paris. Soirées rencontres autour de l’exposition dans l’Orangerie les 27 mai et 12 juin 2025 à 19h. Ouvert tous les jours sauf lundi. Tarifs: 15€ (plein) 13€ (réduit), gratuit pour les -18 ans. N’hésitez pas à prendre la carte Paris Musées qui vous permettra d’accéder pendant.
🧨 Ils cassent les codes du polar
Avec Lettres siciliennes, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza livrent un thriller glaçant qui vire parfois à la farce, inspiré de faits réels, où les mots deviennent des armes. Au cœur du film : l’échange clandestin de pizzini, ces petits billets cachés que s’échangeaient un politicien véreux et Matteo Messina Denaro, l’un des derniers parrains de la mafia sicilienne.
Porté par une mise en scène élégante et tendue, le film brille par la confrontation magnétique et à distance entre Toni Servillo et Elio Germano, tous deux d’une justesse saisissante. Entre théâtre du pouvoir et silence mafieux, Lettres siciliennes explore ce que la parole cache, ce qu’elle révèle — et jusqu’où elle peut corrompre.
🎬 À voir absolument ce mercredi en salles: un cinéma intelligent, tendu, qui scrute les zones grises du réel sans jamais céder au spectaculaire.
🔥 Oxana : le portrait brûlant d’une femme qui dérange
Si on vous dit femme, seins nus, Ukraine, l’image des Femen surgit immédiatement. Derrière ce symbole très fort de protestation, se dévoile une femme, que nous révèle Charlène Favier dans Oxana. Ce serait trop facile de le qualifier de biopic. Oxana est une exploration du geste artistique qui a fait l’identité du mouvement, et aussi de la manière dont l’engagement consume une artiste. C’est bouleversant, et ça sort ce mercredi.
Des projections avec l’équipe auront lieu le 14 avril au Club à Grenoble, le 15 avril au Pathé Convention à Paris et le 16 avril aux Variétés à Marseille. A l’occasion de la sortie du film, le Cosmo à Toulouse ouvre un cycle trimestriel intitulé “Regards sur les mouvements féministes et leur histoire”. Le 17 avril, double programme avec la projection de L’une chante l’autre pas d’Agnès Varda (18H) suivie de celle d’Oxana et d’une rencontre avec Justine Zeller, docteure en histoire, spécialiste de l’histoire du féminisme.
🌀Le Nikon Film Festival, laboratoire de talents inattendus
Lucas Croset était notre envoyé spécial au Nikon Film Festival le mercredi 9 avril dernier. Récit d’une folle soirée de remise des prix au Grand Rex.
Tous les énormes fauteuils en cuir et strapontins de la célèbre salle parisienne sont occupés. Les équipes retiennent leur souffle. Le public a déjà ses favoris. Il fallait 83 heures pour visionner l'ensemble des 2137 courts-métrages proposés en compétition au Nikon Film Festival. Il faut dire que depuis sa création, il y a quinze ans, le Nikon Film Festival applique toujours la même recette : encourager tous les cinéastes (professionnels ou amateurs) à réaliser un court-métrage de 2 minutes 20 sur un thème donné. Celui de cette année : « Un super pouvoir ». À l'époque, personne n'aurait deviné que le « Nikon » deviendrait un tel révélateur de talents. Plusieurs réalisateurs et réalisatrices, comme Romain Quirot (Apaches) ou Kyan Khojandi (Bref) y sont passés.
Le festival a remis au goût du jour, ce format court plébiscité par les réseaux sociaux et offre un veritable espace de liberté à des équipes toujours plus créatives, comme en témoigne la diversité du palmarès. Présenté par Patrick Fabre, la cérémonie est rythmée par des explosions de joie à l’annonce de prix qui font écho aux luttes féministes: La dernière vague (Prix du public), Manucure 24/24 (Prix Sens Critique) qui évoque les violences conjugales, ou Vigilantes (Prix des Écoles), une dystopie dans laquelle les femmes n'ont plus le droit de parler entre elles. Le festival remet d'ailleurs depuis deux ans les femmes à l'honneur en leur décernant une récompense dédiée : le prix Alice Guy, du nom de la première réalisatrice de l'histoire. Cette année, c'est Sisi Mbemba qui le remporte pour Igor manger noisettes. Le Prix de la Mise en scène a été remporté par À l'envers., une fable colorée et amusante qui rappelle l'univers de Wes Anderson.
D'autres courts-métrages ont rendu la salle hilare. C'est le cas du loufoque Ex of tomorrow (Prix Gaumont, Prix d'interprétation masculine), qui raconte l'histoire d'un couple au bord de la rupture coincé dans une boucle temporelle, ou encore de l'épatant Holybelly (Prix de la photographie). Le Grand prix du jury 2025, présidé par Noémie Merlant, est allé à Monsieur Pioche, un film sur le travail des enfants dans la mine signé Maxime Lorgerie. Il récompense une oeuvre à la sociale et émouvante où guidé par la seule voix d’une vidéo de consignes de sécurité,le spectateur suit le destin d’enfants exploités. — Lucas Croset
🌊 Courants alternatifs venus d’Europe
Frontières, migrations, relations humaines, tels sont les thèmes abordés par le festival L’Europe autour de l’Europe qui met à l’honneur les cinéastes audacieux du 15 au 29 avril 2025. Venus de Suède, Norvège, Belgique, Luxembourg, Serbie ou encore des Pays-bas, ces films sont là pour secouer les certitudes et montrer un cinéma européen touchant et hors du commun. Voici notre sélection :
Sally Bauer à contre-courant suit le parcours d’une mère, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, décidée à battre le record de la traversée de la Manche à la nage. (le 15/04 à 19h30 aux 7 parnassiens en présence de la réalisatrice Frida Kempff)
Loveable (Elskling) met en scène le combat de l’incroyable Maria interprétée par Helga Guren, qui cumule un poste à haute responsabilité et des enfants pendant son divorce. (le 28/04 à 20h30 au Pathé Les Fauvettes en présence de la réalisatrice Lilja Ingolfsdottir) En salle le 18 juin !
Antologion, un ciné-rhapsodie, en le basant sur des fragments de films classiques produits en Ukraine, pendant la période soviétique. Présenté par son réalisateur Aleksandr Balagura et Irena Bilic, directrice du festival à la fondation Pathé Seydoux.
L’été de Jahia retrace l’aventure touchante de Jahia et Mila, jeunes demandeuses d’asile en Belgique. (le 24/04 à 20h au Pathé Les Fauvettes en présence du réalisateur Olivier Meys, et de l’équipe du film)
Maret s’annonce comme le poignant témoignage d’une femme qui, ayant perdu la mémoire, part à la recherche de son passé dans une curieuse opération chirurgicale. (le 25/04 à 19h30 au Pathé Les Fauvettes en présence de la cinéaste Laura Schroeder et l’actrice Suzanne Wolff)
👁️ Carnet de bord à Brive : là où le cinéma s’invente autrement
Cette semaine, notre envoyé spécial, Nicolas Bellet, s’est glissé dans les coulisses du Festival de Brive — unique en son genre, car entièrement consacré aux moyens métrages, ces formats libres et souvent audacieux, entre 29 et 59 minutes. Particularité de cette 22ᵉ édition : il faisait partie du jury presse. Il nous raconte cette immersion cinéphile à haute intensité.
Quand on vit un festival à fond, on est rapidement coupé du monde. Le festival devient une bulle, une expérience quasi monastique : on mange (ah, la cuisine de Dordogne!), dort, pense cinéma. Les projections s’enchaînent à un rythme soutenu — six par jour —, entrecoupées de débats passionnés et de repas partagés avec les équipes des films. Les visages deviennent familiers, les discussions glissent de l’écran à la table. On commence à ne plus vraiment sortir des films. Et c’est génial… et un peu méta.
Heureusement, la sélection du Festival de Brive ne déçoit pas. Dès les premières séances, une tendance émerge : beaucoup de grain, de 16 mm, de voix off existentielles, de bande de jeunes à la dérive. Ce n’est pas forcément ma tasse de thé, mais Brive a cette force de toujours bousculer les attentes. Très vite, la sélection s’est révélée riche, iconoclaste, voyageuse : de l’Éthiopie à la Grèce, en passant par la Palestine, on passe d’un huis clos étouffant à une comédie dadaïste, d’un geste formel à une émotion brute. Au sein du jury, les coups de cœur se multiplient, les désaccords aussi.
Au moment de décider qui récompenser, hélàs, l’unisson n’était plus vraiment de mise. Difficile de ne pas voir son chouchou à la première place! A force de palabres cinéphiles, notre choix s’est très vite porté vers un très beau film géorgien : Temo Re d’Anka Gujabidze. Un objet rare et précieux. Ce film en photogrammes, dans la lignée de La Jetée de Chris Marker, raconte en noir et blanc la journée d’un apprenti acteur/livreur. C’est drôle, délicat, poétique, et en filigrane, c’est tout un pays, encore peu exploré par le cinéma, qu’on découvre. Un bijou de 49 minutes qu’on vous recommande chaudement.
Brive, c’est un festival qui vous fait aimer le cinéma pour ce qu’il a de plus libre, de plus fragile aussi. On en sort lessivé, mais galvanisé. — Nicolas Bellet
🎬🎶 L’écran en symphonie : la magie du ciné-concert
À l’époque du cinéma muet, les orchestres étaient systématiquement présents dans les salles obscures. Aujourd’hui, les ciné-concerts font de nouveau salle comble partout en France. Pourquoi un tel engouement ? Dans un monde saturé d’images, le ciné-concert réactive la magie du cinéma comme spectacle vivant. Il répond à la soif d’expériences collectives et sensorielles à l’heure du tout-streaming. Ce phénomène révèle aussi une chose : le public ne cherche pas seulement à voir un film, il veut le vivre. Le ciné-concert, c’est la rencontre entre mémoire collective et performance unique. Chez Intervistar, on y voit plus qu’une mode : un signe que le cinéma peut se réinventer sans cesse. Une manière d’ancrer le patrimoine cinématographique dans le présent, de le rendre vibrant, accessible, bouleversant. On vous recommande quelques rendez-vous immanquables.
Et vous, quel ciné-concert avez-vous aimé? Dites-le nous en commentaire.
Une dystopie frappante avec la projection rare de Metropolis de Fritz Lang le 7 juin 2025 à la Basilique de Saint-Denis, avec une improvisation de Quentin Guérillot, organiste titulaire de la Basilique. Entrée gratuite sur inscription ici.
Après des dates triomphales en 2023, le ciné-concert de La La Land fait son grand retour en France à Nantes, Lille et Paris du 27 septembre au 4 octobre 2025 ! Sous la direction exceptionnelle du compositeur Justin Hurwitz, les musiciens du Yellow Socks Orchestra interpréteront en live la bande originale du film.
La projection du cultissime Le Dictateur de Charlie Chaplin, accompagnée en direct par l'Orchestre national d'Île-de-France sous la direction de Timothy Brock à la Philharmonie de Paris. (le 3 mai 2025 à 20h00 et 4 mai 2025 à 16h00)
Plongez dans l'univers musical de la saga intergalactique emblématique avec May the 4th Be With You revient au Grand Rex à Paris les 30 et 31 mai 2025.
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