On a maté Cannes pour toi. Voilà ce qu’on garde.
Ou comment le mois de mai va façonner nos vies et nos envies!
Chaque année, c’est la même rengaine. Cannes revient, et avec lui son lot de clichés : Trop snob, trop élitiste, trop loin des “vrais gens” — à en croire certains commentateurs, le Festival de Cannes serait un monde à part, auto-congratulatoire et déconnecté. Un théâtre d’ombres pour happy few en smoking.
C’est là tout le grand malentendu.
Car Cannes n’est pas qu’un tapis rouge ou une chasse aux étoiles sur la Croisette. C’est un lieu de pouvoir, où se décide en partie le cinéma de demain. C’est une vitrine mondiale pour faire exister des œuvres fragiles, audacieuses, politiques. C’est un baromètre des tensions du monde en passant par les luttes de genre, de race et de classe.
Depuis sa création en 1946, le Festival a toujours été plus qu’un concours de films. Il a offert une tribune à des cinéastes censurés, mis en lumière des conflits ignorés, révélé des mouvements esthétiques et engagé des batailles symboliques.
Alors oui, Cannes peut être agaçant. Il peut manquer d’inclusivité, de parité, de courage parfois. Mais il reste un espace essentiel où l’on croit encore que le cinéma peut peser dans le débat public, provoquer, faire bouger les lignes. Et ce n’est pas si courant.
À l’heure où les plateformes uniformisent les goûts et où les salles ferment les unes après les autres, défendre Cannes, c’est défendre un cinéma vivant, libre et multiple.
Un palmarès en phase avec son époque
Le palmarès de la 78e édition du Festival de Cannes, dévoilé le 24 mai 2025, illustre une fois de plus la dimension politique du cinéma contemporain. Sous la présidence de Juliette Binoche, le jury a récompensé des œuvres qui interrogent les structures sociales et les dynamiques de pouvoir.
La Palme d'or a été attribuée à Un simple accident de Jafar Panahi, un film tourné clandestinement en Iran. Cette œuvre explore le dilemme moral d'anciens détenus tentés de se venger de leur tortionnaire, offrant ainsi une critique poignante du régime iranien. La présence de Panahi à Cannes, après des années d'assignation à résidence et d'interdiction de tournage, a marqué un moment fort du festival.
Le Grand Prix a été décerné à Valeur sentimentale de Joachim Trier, un drame familial explorant les relations entre un cinéaste et ses filles. Le Prix du Jury, attribué ex æquo, a récompensé Sirât d'Óliver Laxe et Sound of falling de Mascha Schilinski, deux œuvres qui interrogent les frontières entre spiritualité et fiction avec des parti-pris esthétiques très forts.
Le Prix de la mise en scène a été attribué à Kleber Mendonça Filho pour L'Agent secret, un thriller politique brésilien mettant en lumière les dérives autoritaires. Wagner Moura a reçu le Prix d'interprétation masculine pour son rôle dans ce même film. Nadia Melliti a été récompensée du Prix d'interprétation féminine pour La Petite Dernière de Hafsia Herzi, une chronique sociale sur l'émancipation d'une jeune femme homosexuelle dans un quartier populaire.
Ainsi, loin des clichés de superficialité, le Festival de Cannes 2025 confirme que le cinéma est un art profondément politique, capable d'éclairer les zones d'ombre de nos sociétés et de susciter la réflexion.
Certains de ces films, dont la Palme d’or- sont présentés en avant-première, en salles. Au Lumière Terreaux à Lyon du 9 au 17 juin, au Louxor à Paris du 18 au 24 juin. Pensez à réserver, les places partent vite.
Éloge de Marina Foïs – L’art de disparaître
Il y a des actrices dont on reconnaît l’intonation à chaque plan. Et puis il y a Marina Foïs, de celles qui s’effacent pour mieux incarner, qui glissent dans la peau de leurs personnages avec une précision presque chirurgicale, jusqu’à faire oublier qu’il y avait, un instant plus tôt, une comédienne. A Cannes, elle nous a ébloui dans deux films.
Dans La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa , elle incarne Françoise Bettencourt-Myers — figure énigmatique, discrète et insaisissable de l’empire L’Oréal — sans jamais tomber dans la caricature. Là où d’autres auraient grossi les traits ou surjoué la froideur, Marina Foïs travaille le silence, la tension, les non-dits. Elle compose un personnage qui semble peser chaque mot, chaque regard, comme on manie un héritage trop lourd. Elle nous parle d’un monde de pouvoir et de solitude sans jamais lever la voix.
Et puis vient Moi qui t’aimais de Diane Kurys, et Simone Signoret, éternelle Casque d’or devenue acrobate blessée et résistante dans l’âme. Le défi est immense : comment incarner une légende sans la figer ? Marina Foïs choisit l’intime. Elle fait vibrer la voix de Signoret, sa mélancolie, sa lucidité politique, son amour déchirant pour Montand. Ce n’est pas un mimétisme, c’est une résurrection sensible, un portrait en creux, où l’on devine plus qu’on ne voit.
Ce que Marina Foïs maîtrise mieux que quiconque, c’est l’ambiguïté. Elle est cette actrice rare qui ne demande jamais l’amour du spectateur — mais l’obtient par exigence, par justesse, par audace. Une comédienne de composition au sens le plus noble : celle qui compose sans jamais trahir, qui transforme sans travestir.
Et dans ce geste-là, il y a du courage. Et une forme de grâce.
Coup de cœur : Nouvelle Vague
Il fallait oser. Oser appeler son film Nouvelle Vague en 2025. Oser convoquer Godard, Chabrol, Truffaut, Belmondo sans jamais tomber dans le pastiche ou la révérence muséale. Et pourtant, Richard Linklater, en cinéaste du temps qui passe et des passions suspendues, réussit ce miracle : nous refaire vivre le tournage d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard.
Nouvelle Vague, c’est une lettre d’amour. À un cinéma qui ne s’excuse pas d’être bavard, flou, lumineux. À ces films où deux êtres se rencontrent, se racontent, se manquent peut-être. On y retrouve le Linklater de Before Sunrise, mais vieilli comme un bon vin — plus doux, plus mélancolique, plus libre aussi. A un réalisateur aussi odieux que génial.
Il y a dans ce film la douceur du crépuscule et l’énergie d’un premier matin. C’est un geste tendre et gracieux, qui refuse le cynisme sans jamais nier la mélancolie. C’est Linklater à son meilleur : le cinéma comme lieu de rencontre, de transmission, de flirt avec le passé. Nouvelle Vague sort le 8 octobre.
A bout de souffle est tellement dans nos vies qu’il fait l’événement ce mois-ci: Son unique manuscrit est proposé à la vente par les héritiers de son producteur, Georges de Beauregard chez Sotheby’s entre le 4 et le 18 juin. Ces feuillets mythiques sont visibles par le grand public dans la maison de ventes aux enchères d’objets de collection du 14 au 18 juin au 83, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris 8e.
Et si vous en voulez encore, n’hésitez pas à regarder sur MyCanal le documentaire Dans la tête de Godard et de Beauregard de Hind R. Boukli.
Un regard, mille vies
Le Festival de Cannes est peut-être fini, mais le cinéma continue de vibrer à Paris. Dès cette semaine, la section Un Certain Regard, Sélection cannoise riche en découvertes, s’installe dans plusieurs salles de la capitale — et c’est l’occasion rêvée de découvrir les pépites les plus audacieuses de la Croisette.
À ne pas manquer :
L’inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier
L’histoire incroyable de la construction de la Grande Arche de la Défense. Un face à face entre l’architecte visionnaire à la destinée tragique et le Président bâtisseur, François Mitterrand.
Eleanor the Great de Scarlett Johansson
Le premier film de l’actrice est un portrait drôle et émouvant d’une nonagénaire qui s’invente un passé pour faire revivre son amie.
Météors de Hubert Charruel
Pour son deuxième film, le réalisateur de Petit Paysan nous plonge dans le quotidien des jeunes coincés entre journées “petits boulots” et soirées à boire pour rêver.
Le mystérieux regard du flamant rose de Diego Céspedes – Grand Prix Un Certain Regard. Un film rare, à la fois politique et onirique, sur le désir, la mémoire et les métamorphoses du corps.
En bref : si tu veux voir ce que le cinéma a de plus libre, de plus inattendu, de plus vibrant à offrir en 2025, c’est maintenant, en salle. Un Certain Regard, du 28 mai au 03 juin 2025 à L’Arlequin, au MK2 Quai de Seine, au Pathé Convention, et à l’UGC Gobelins. Certaines séances sont en présence des équipes.
Bono, en version dépouillée
On croyait tout savoir de Bono : les lunettes teintées, la voix planétaire, les concerts pharaoniques de U2. Mais Bono: Stories of Surrender, le documentaire inspiré de son autobiographie et de sa tournée solo "Stories of Surrender", nous donne accès à une autre version de lui — plus intime, plus vulnérable, plus drôle aussi. Présenté au Festival de Cannes en avant-première, le film est diffusé à partir du 30 mai sur AppleTV.
Réalisé par Andrew Dominik (L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford), le film est un hybride inattendu entre confession scénique, performance musicale et journal de bord d’un artiste qui regarde dans le rétro. À 65 ans passés, Bono se met à nu : il parle de son père, de ses croyances, de ses erreurs, de son ego, et du miracle improbable qu’a été U2. Il chante aussi — mais sans les artifices, juste accompagné d’un violoncelle ou d’un piano.
Ce n’est pas un film pour les fans uniquement. C’est un documentaire sur la mémoire, la foi, le doute, le besoin de raconter. Une sorte de TED Talk rock'n'roll sous amphétamines nostalgiques, mais toujours en quête de sens. On y découvre surtout un mec lucide, cabot mais touchant, qui dit à peu près ceci : vieillir, c’est apprendre à se taire un peu, et écouter ce que les chansons disaient vraiment.
Le temps passe, Klapisch reste. Et il se renouvelle.
Avec La venue de l’avenir, Cédric Klapisch signe peut-être son film le plus sensible depuis Ce qui nous lie. Présenté à Un Certain Regard au Festival de Cannes, ce nouveau long-métrage explore ce que signifie “faire le deuil de ce qu’on aurait pu être” — sans jamais sombrer dans la gravité.
Coécrit avec Santiago Amigorena, le film suit quatre cousins dans un voyage introspectif dans leur généalogie. Klapisch capte comme toujours les corps, les gestes, les liens. Mais ici, quelque chose a changé. Il ralentit, écoute, s’attarde. Il filme le temps, l’avenir comme une promesse fragile, la possibilité d’une autre vie, encore. La mise en scène est épurée, portée par une direction d’acteurs impeccable, et une bande-son délicate, sans effet superflu. À voir absolument en salle : parce que c’est une œuvre qui se goûte dans l’obscurité collective.
Et pour prolonger l’expérience, lisez Le Festival de Cannes de Santiago Amigorena (POL). Un texte drôle, féroce, tendre, où l’auteur déplie ses souvenirs du festival comme on feuillette un vieux carnet de correspondance — avec l’auto-ironie et la lucidité de ceux qui n’y croient plus tout à fait, mais y vont quand même.
Bref, La venue de l’avenir, c’est le Klapisch qu’on espérait sans savoir qu’on l’attendait. Allez-y. Partagez. Parlez-en. Le cinéma, c’est ça aussi.
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